21/06/2022

Impact écologique des télécoms : et si nous changions (enfin) de grille de lecture ?

 

Une tribune par Alexis de Goriainoff, co-fondateur et CEO de Sewan

 

Une récente étude de l’Agence de la transition écologique (ADEME) et de l’Autorité de régulation des communications électroniques (ARCEP) estime à 2,5% la part des émissions de CO2 liées au numérique en France. Un chiffre équivalent à l’impact carbone annuel de 12 millions de voitures particulières, qui devrait encore croître dans les années à venir, compte tenu de l’augmentation des usages en matière de télécommunications. Or pour lutter contre cette pollution, les recommandations usuelles se concentrent principalement sur l’adoption d’éco-gestes numériques. Mais ces changements de comportements individuels, sont-ils réellement LA solution pour engager le monde vers plus de sobriété ?

 

Une écologie des petits gestes…

Si l’urgence écologique est une réalité, le procès fait aux services en ligne depuis quelques années ne semble pas pointer du doigt le bon coupable. En effet, quand on sait que les spams représentent entre 55 et 95% du trafic mail* , pourquoi donc faire reposer sur les seuls internautes, particuliers ou salariés, la culpabilité de l’impact environnemental du numérique ?
Un mail émet en moyenne 4g de CO2**, soit la même quantité que 7 minutes de discussion orale entre deux individus, et cela seulement dans le cas où il comporte, a minima, une pièce jointe et est hébergé sur des serveurs étrangers, alimentés par des énergies fossiles, telles que le charbon. Inciter les citoyens à réduire le nombre ou la longueur des mails qu’ils envoient est ainsi une mesure parfaitement insignifiante, si ce n’est contreproductive : le mail est un moyen de communication écrit plus durable que le courrier postal ! Pourquoi blâmer ainsi certaines évolutions technologiques, à l’instar de la signature électronique ou du Cloud, au motif qu’elles sont émettrices de CO2 ?
Pour réellement parler de l’impact environnemental des technologies il est essentiel de considérer également les économies de CO2 engendrées par leur usage. En effet, admettons que nous ne voulons pas dégrader notre niveau de vie et de confort mais que nous avons uniquement à notre disposition les technologies existantes dans les années 80 : quel serait alors notre niveau d’émission de CO2 ? Rien qu’en remplaçant nos emails par des courriers papiers – ce qui inclus la fabrication du papier et de l’encre, le transport puis la distribution – la consommation carbone serait déjà démultipliée.
Enfin, les études qui condamnent l’impact du numérique se basent principalement sur un niveau de production mondial moyen d’électricité. Cette même électricité est, en très grande partie, produite à base d’hydrocarbures. Plutôt que d’inciter les consommateurs à envoyer des mails plus courts, ne serait-il pas plus efficace d’inciter les principaux acteurs des services en ligne, tels que les GAFAMs, à héberger leurs services dans des pays, comme la France, dont la production d’électricité est majoritairement décarbonée ?

 

… minée par l’empreinte environnementale des crypto-actifs

Le véritable gouffre écologique du numérique ne se trouverait-il pas au contraire au cœur de l’un des sujets les plus en vogue du moment, à savoir l’industrie des crypto-monnaies ? L’activité de minage de crypto-monnaie, parce qu’elle utilise la puissance maximale des processeurs et la pleine capacité du réseau 24h/24, est extrêmement énergivore. Plus encore, en raison de cet usage intensif, le taux d’usure du matériel est beaucoup plus élevé, entraînant un surplus de déchets difficilement recyclables.
Ici en revanche, la pollution engendrée par la production de crypto-monnaies n’est pas compensée par une baisse dans d’autres secteurs. Les crypto-monnaies sont des jeux spéculatifs qui n’ont quasiment pas d’application dans la vie réelle.
Toutes nos activités, y compris digitales, sont sources de pollution. À l’heure où les usages numériques sont en plein essor, et où les débats vont bon train quant à l’augmentation de leurs empreintes environnementales, la question intrinsèque réside donc plutôt dans le fait de savoir si ces émissions se justifient au regard des bienfaits apportés par telle ou telle technologie ? S’il convient de laisser les économistes en seuls véritables juges du potentiel du bitcoin et autres crypto-monnaies comme alternatives durables au système financier traditionnel, il est grand temps de dépasser le phénomène de mode pour s’interroger sur la réelle utilité sociale de ces crypto-actifs hautement spéculatifs, relativement à leur coût énergétique et environnemental !

 

 

* Signal Spam

** Carbon Literacy Project